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Charlot di U Viscuvatu

Les mots ne manqueraient pas pour présenter ce footballeur à la volonté et au courage hors du commun, ce défenseur « pur-corse », précurseur du stoppeur moderne et fidèle parmi les fidèles, mais pour présenter un « dinosaure » du football corse, nous n'avons rien trouvé de mieux que le chapitre concernant Charlot dans « Les Lions de Furiani » (1978, aux éditions DGDL) du grand Victor Sinet, la véritable mémoire vivante du football corse : «Charles Orlanducci est le battant N°l du SECB et du football corse. C'est un arrière central rigoureux, dont la technique est excellente et les actions sur la balle tranchantes. Il est sans complaisance, mais toujours correct sur l'homme. On lui fait souvent le reproche de s'avancer trop facilement vers les buts adverses et de courir ainsi le risque de découvrir la zone de défense. Mais, outre que ses incursions chez l'adversaire sont souvent payantes et lui ont permis de marquer des buts déterminants, cette attitude est absolument conforme à son caractère de puncheur (...) ». Me voilà donc sur la route qui parcourt la Casinca, prochain arrêt : le Bar Colonial, où je dois rencontrer Charles. Là, comme dans une machine à remonter le temps, on quitte l'année 1996 pour se retrouver dans le Viscuvatu des années 60...
Charles Orlanducci est un de ces gamins qui usent leurs souliers à courir après un ballon sur la place du village. C'est tout naturellement qu'il signera sa première licence à l'AS Viscuvatu, où il y restera jusqu'en cadet, époque où il doit quitter son village pour aller au lycée à Bastia. Il a 15 ans. « A cette époque, je signe au SECB, en Division d’honneur, et c'est au contact des joueurs bastiais, comme entre autres François Nicolai, l'actuel président du SCB, que je prends conscience de mes possibilités de devenir professionnel. Pourquoi pas moi, après tout, surtout que j'accroche à mon palmarès, pour ma première année, le titre de Champion de Corse de DH.»
Charles est consciencieux et travaille beaucoup, surtout qu'en cette année 67, le Sporting accède en Première division, avec Jeannot Vincenti, Paolo Farina, Paul Orsatti, Freddy Gandolfi, la paire Ferrier-Zenier et autres... « J'étais un titulaire à part entière dans l'équipe de DH, et un jour Rachid Mekloufi m'a convié à l'entraînement des pros. À la fin de la séance, je savais que je n'allais plus quitter l'effectif pro. Le dimanche suivant, je jouais contre le Red Star à Saint Ouen, mon premier match en division 1 !!! »

La carrière professionnelle de l'enfant de Viscuvatu a commencé donc face au Red Star. Curieusement, il va retrouver ce club en 1971, car il va y faire l'objet d'un prêt pour un an, le temps de son service militaire. Charles servira, comme tout bon footballeur, au Bataillon de Joinville.

«J'étais dans la promotion de François Bracci, Marc Berdoll, Bernard Lacombe, Jean Paul Bertrand-Demanes, Raymond Domenech, avec qui j'ai gardé de bons contacts. Le Bataillon de Joinville m'a beaucoup apporté au niveau personnalité, car c'était la première fois que je quittais la Corse, mais aussi au niveau de ma carrière car il est toujours profitable de bénéficier du contact de tels joueurs, déjà connus dans le championnat de France. Avec eux, j'ai beaucoup appris. Quant à mon expérience au Red Star, j'ai débuté dans l'équipe de troisième division puis, après quelques matchs, j'ai pu faire mes débuts en Division 1. »
AVEC CAHUZAC, LE COURANT EST TOUT DE SUITE PASSÉ...

Charles, fort de son expérience militaire et parisienne, rentre en Corse en 1972 et rejoins donc le Sporting, qui a accueilli Lenoir et Baudas, ainsi qu'un homme qui deviendra une figure emblématique du club : Pierre Cahuzac, qui remplace Jean Vincent au poste d'entraîneur.

«Quand je suis arrivé à Bastia, je ne pouvais rêver d'avoir meilleur entraîneur ! En effet, Cahuzac correspondait à ce que je pouvais attendre d'un entraîneur : je revenais du Bataillon de Joinville, où l'entraînement était plutôt rude, et celui de Cahuzac nous faisait souffrir encore plus ! Il a su découvrir en moi ce qui devait être corrigé et a tout de suite reconnu le joueur qu'il attendait. Donc, le courant est tout de suite passé... »

La saison 71/72 est une bonne saison pour le SECB, même si la déception d'avoir perdu la finale de la coupe de France est toujours présente dans la mémoire de Charles. Et il ne participera même pas aux débuts européens du Sporting au Stade de Timizzolu contre le grand Athletico de Madrid, à cause d'une blessure. Le SECB fera un bon match nul (le match fut entaché d'incidents à la fin du match... ) avant de perdre le match retour à Vincente Calderon 2-0.

Quelques saisons passent et Charlot est devenu un titulaire inamovible de la défense centrale du SECB. En 1975. il est associé à l'allemand Paul-Ferdinand Heidkamp. Charles dira de lui : « Il n'est peut-être pas comme les autres, mais toujours est-il que j'apprends beaucoup à son contact. »

« J'ai dit qu'il n'était pas comme les autres dans le sens où Paul-Ferdinand n'avait rien, dans la vie, d'un footballeur professionnel. Tout était prétexte à de longues sorties nocturnes... Quand vous savez que le lendemain, vous avez un match à disputer... Il était le type même du joueur indiscipliné. Il ne correspondait pas du tout à mon style de vie. Mais sur le terrain c'était autre chose... Quel talent ! Quel métier ! Un libéro comme on n'en voit plus, toujours très propre dans ses interventions et très sobre à la relance, tout cela appuyé par un jeu de tête exceptionnel. »

Donc, pour Charles et le SECB, tout est beau dans le meilleur des mondes, jusqu'à cette soirée de février 76 où le SECB se rend au Stade Gerland y affronter l'olympique lyonnais de Chiesa, Domenech, Lacombe... C'est le naufrage : le Sporting encaisse 8 buts...

« Cela a été un accident ! On a cherché, immédiatement après la rencontre, les raisons de ce naufrage collectif, et j'insiste sur collectif. Ce fut la faillite des attaquants, du milieu de terrain et bien sûr des défenseurs. Mais cela ne m'a jamais marqué, cela n'a jamais été un mauvais souvenir. D'ailleurs, dans ma carrière de footballeur je n'ai pas de mauvais souvenirs. »

« LA SEULE CASE NOIRE, C'EST LA DISPARITION DE CLAUDE »

Charlot va aussi connaître au SECB les différents joueurs étrangers qui vont signer chez les bleus, des joueurs de classe mondiale...

« Tous les étrangers que j'ai connu à Bastia étaient de grands joueurs, mais ce que je retiendrai c'est la classe naturelle de Dragan Dzajic et l'efficacité de Johnny Rep. En ce qui concerne les gardiens, je nommerai Pantelic, Bjekovic, Mlynarczyck, même si ce dernier ne nous avait pas apporté ce que l'on attendait de lui. Mais le joueur pour qui j'avais le plus d'admiration, et il n'était pas étranger, c'était bien sûr pour le pauvre Claude Papi, avec qui nous avons accompli la même carrière. J'ai dit plus haut que je n'avais pas de mauvais souvenir dans ma carrière : la seule case noire qui reste dans mes souvenirs, c'est la disparition de Claude. » Et qui ne se souvient pas d'avoir, à Furiani, admirer leur complicité et leur combativité. Même si parfois, derrière, Charles y allait de sa « cagade » et donnait bien des frissons aux supporters...

« Je pense que j'ai fait partie de ceux qui ont révolutionné le poste de stoppeur. Avant, le stoppeur qui récupérait un ballon avait la simple tâche de le dégager fort et loin, et si possible sur un partenaire. Moi, j'avais décidé de garder le ballon et d'essayer d'en faire un meilleur usage tactique, même si parfois... Bref, je voulais participer au jeu. Je sentais le moment où mes partenaires ne trouvaient pas la faille et je décidai de remonter le terrain balle aux pieds jusqu'à la surface adverse, où je créais le surnombre. Et croyez-moi, ça marchait ! Au début, Cahuzac m'a fait de nombreuses remontrances sur cette façon de jouer, mais il ne pouvait me changer, c'était mon tempérament. »

Et on arrive à la fameuse épopée européenne de 77/78, entamée au stade de Furiani contre les Portugais du Sporting de Lisbonne. « Ma plus grande joie a été de se qualifier à Lisbonne, car le SECB écrivait une de ses plus belles pages en passant pour la première fois le premier tour européen. Et l'apothéose, ce fut les deux matches contre le grand Torino, avec une mention spéciale pour le match retour en Italie. On nous présentait, à l'époque, Torino comme la meilleure équipe mondiale. C'est vrai que ce n'était que la coupe UEFA, mais, en 77, les équipes qui jouaient cette compétition étaient considérées comme les meilleurs dans leurs pays : Torino, Lisbonne, Newcastle, Zurich, Barcelone, Eindhoven... Elles étaient toutes leaders dans leur pays. C'était pour nous l'équivalent d'une coupe des champions. Jouer cette coupe UEFA a été quelque chose d'exceptionnel en tant quel joueur, mais nous ne pouvions pas ressentir ce que les supporters du Sporting ressentaient. Ce devait être un sentiment fabuleux... Ce que j'aurais voulu vivre, c'est notre retour de Turin, cet engouement populaire. Nous, joueurs, nous ne l'avons pas vécu... »

L’euphorie de l'Europe passée, les joueurs bastiais doivent se remettre au travail pour le championnat 78/79, et ainsi confirmer que le SECB est bien un grand club français. A l'aube de cette nouvelle saison, les transferts vont bon train, les joueurs vont et viennent, les plus folles rumeurs circulent...

« Pour ma part, j'ai eu de nombreux contacts avec des clubs continentaux comme Paris SG, Nîmes, Nice et d'autres dont je ne me souviens plus. Je n'ai jamais donné suite à ces contacts, car je ne voyais pas l'intérêt de quitter le Sporting, qui évoluait en D1, et qui semblait avoir un bel avenir dans l'élite. Et puis, vous savez, à l'époque, on ne parlait pas autant d'argent que maintenant, et les intérêts financiers y étaient vraiment moindres. Mon objectif était de réussir avec Bastia. »

« J'ETAIS FIER DE REPRESENTER LA CORSE »

Réussir, Charlot avait sûrement atteint cet objectif avec le Sporting, tant et si bien que les portes de l'équipe de France A commençaient à s'entrouvrir, lui qui avait déjà endossé la tunique bleue chez les militaires, ainsi que chez les espoirs (2 sélections).

«Je n'ai joué qu'un seul match, en 1975, contre la Belgique au Parc des Princes (match comptant pour les éliminatoires du Championnat d'Europe 1980).

J'en ai ressenti une certaine fierté, car je savais qu'à l'intérieur de cette équipe de France, je représentais la Corse. A ce moment là, le sélectionneur s'appelait Stefan Kovacs, un homme qui apparemment me faisait confiance. Puis vint Michel Hidalgo, qui ne m'a jamais donné ma chance, un peu comme ce qui s'était passé avec Papi. »

Même pas déçu, Charles, de ne pas avoir été appelé plus souvent. Tant pis pour la France ! Et pour donner encore plus de remords au sélectionneur, c'est lui-même, capitaine courageux, qui va amener le SECB, en cette année 81, à conquérir le plus précieux, le plus convoité des trophées pour un joueur français : la coupe de France, qui va, pour la première fois de sa vie, traverser la mer ! Et Charles ne l'aura pas volé, sa coupe, en donnant, lors d'une montée rageuse, le ballon de deuxième but à Roger Milla.
« C'est un fabuleux souvenir. A cet instant, je réussis à sortir le ballon et à amorcer un contre. Je vois Roger qui fait un appel en profondeur, je lâche le ballon en me disant « Pourvu que ça arrive !!! » car je savais que si Roger avait ce ballon, il le mettrait dedans. Après ce deuxième but, je savais qu'on y était arrivé. Gagner cette coupe de France, c'est mon plus beau souvenir je me souviens de cet accueil à Bastia... Et à Viscuvatu !!! »

Après 81, Charles va connaître encore de belles heures avec le SECB, notamment en coupe des coupes en 82, période durant laquelle il sera associé au grand Alberto Tarantini, champion du monde en 78 avec l'Argentine. Mais le Sporting n'arrive pas à redevenir l'équipe quelle était, et se maintient tant bien que mal en D1, jusqu'à la saison 85/86, où elle connaît la relégation.

« A l'époque, nous, les joueurs, n'avions pas trop le temps de nous poser des questions au sujet de la bonne ou mauvaise gestion du club. De plus, la relégation était purement sportive. On se disait que l'équipe ne disposait pas de l'effectif qu'il fallait.. De plus, il régnait au club une sorte de lassitude après avoir connu l’Europe, la coupe de France... Pour ma part, j'ai joué la première moitié de cette saison 85/86, puis j'ai décidé d'arrêter ma carrière au haut niveau, sûrement à cause d'un manque de motivation, par lassitude. Après avoir joué 18 ans au plus haut niveau... »

« UN GRAND COUP DE CHAPEAU AU PRESIDENT NICOLAI »

Et c'est vrai que c’est une belle carrière, à une époque où le football était encore le football, où l'argent n'était pas le maître-mot, où les présidents étaient des présidents, les entraîneurs des entraîneurs, les joueurs des footballeurs...

« Je n'ai pas beaucoup de regrets au niveau de ma carrière, si ce n'est que j'aurais aimé avoir les structures et les installations dont les joueurs du Sporting bénéficient actuellement. Je voudrais tirer un grand coup de chapeau à un homme comme le président Nicolai, qui a fait du SCB un véritable club. Si les dirigeants de l'époque européenne avaient suivi la même politique, avaient créé de telles structures, une catastrophe comme celle de Furiani n'aurait jamais du avoir lieu... »

Après le terme de sa carrière professionnelle, Charles retrouve son premier club, l'AS Viscuvatu, qui évoluait en PHC.

« J'avais décidé de signer une licence amateur à Vescovato pour relancer ce club. J’y étais bénévole, cela va sans dire. Mais même à ce niveau, les joueurs adverses ont toujours fait preuve d'une grande correction à mon égard, et j'ai trouvé cela formidable. J’inspirais du respect. Quant à entamer une carrière d'entraîneur je n’y ai jamais trouvé d'intérêt. Pourtant, le Sporting me l'a déjà demandé... »

Aujourd'hui, Charles est exploitant agricole. Il a par dessus tout une passion, celle du cheval. A Viscuvatu, lui et quelques amis ont créé un club « I Cavalieri di a Casinca », avec lequel il va participer au championnat de course d'endurance équestre. Nul doute que Charlot, comme dans le football, y laissera son empreinte, et il faut espérer qu'il sera moins intraitable avec son cheval qu'il ne l'a été durant toute sa carrière avec les attaquants adverses.


Par Ludovic Guaitella, revue Corse Football n° 15, fevrier 1996