Une
interview de Cahuzac dans KYRN,
après le match contre Torino
Pierre Cahuzac : « La différence entre le train-train
et l’exceptionnel »…
Parmi les entraîneurs français, Pierre
Cahuzac est un cas. Pas un "entraineur-miracle" ou un
sorcier, ou un magicien comme le goût du sensationnel ou
la facilité le fait dire à certains commentateurs.
Mais un cas, certainement. Chargé de l'équipe la
plus pauvre en moyens et en installations du football professionnel,
il trouve le moyen de la hisser au niveau européen, cette
saison comme il l'a portée aux premiers rangs du championnat
de France, l'an dernier, ou à la finale de la Coupe en
1972. Rude avec les joueurs auxquels il ne concède rien,
qu'il n'hésite pas à malmener – verbalement
s'entend – au cours des entraînements, il est cependant
apprécié de tous, au point qu'il est le véritable
artisan du climat de camaraderie qui règne au sein de l'équipe.
Parfaitement indifférent, aux idées des autres dans
le domaine qui est le sien, refusant de subir quelque pression
que ce soit de ce qu'il est convenu d'appeler l'opinion publique,
il est pourtant estimé et le plus souvent admiré
des supporters… Nous avons voulu savoir pourquoi.
KYRN : Les joueurs ont en vous une confiance
totale, malgré votre caractère, qui n'est pas facile,
malgré votre rigueur à leur égard, malgré
des décisions qu'à première vue, ils ne comprennent
pas toujours. Comment expliquez- vous ce paradoxe ? P. CAHUZAC : Je ne sais pas s'ils comprennent
ou non mes décisions quand je les en informe. Mais ils
constatent sans doute qu'elles s'avèrent bonnes à
l'usage. Et cela forcément leur donne confiance. Tout le
monde est capable de mettre des joueurs au niveau physique ou
technique voulu. La difficulté du métier est de
trouver le poste véritable des joueurs par rapport à
l'équipe qu’ils doivent rencontrer. On n'a pas compris
pourquoi j'ai fait permuter Cazes et Marchioni pour affronter
le Torino. Mais l'opération s'est avérée
payante. Je sais que souvent les supporters critiquent mes décisions
avant le match. Le lendemain, si elles étaient bonnes,
certains disent que j'ai de la chance. Ils se compliquent l'existence
pour le plaisir. Est-il donc si étonnant qu'un entraîneur,
avec trente-cinq ans de football dans les jambes et dans la tête,
juge mieux des choses du football qu'un supporter, même
connaisseur ? D'ailleurs, vous savez, ce qui se dit de moi ici,
se dit aussi de mes collègues ailleurs.
Il vous est arrivé sans doute,
comme à tout le monde, de vous tromper. On dit que vous
ne reconnaissez pas vos erreurs. Est-ce vrai ?
Quand je prends une décision, surtout si elle est délicate,
si elle ne va pas dans le sens apparemment normal des choses,
c'est qu'elle me paraît bonne et nécessaire. Or le
fait qu'elle ne donne pas immédiatement le résultat
attendu ne prouve pas qu'elle soit mauvaise. Le meilleur joueur
à son poste peut faire un mauvais match. Ce n'est pas pour
cela que l'entraîneur doit le placer ailleurs. Par contre,
si la suite des événements montre que je me suis
trompé. Je n'insiste pas, naturellement.
Un autre fait essentiel, dans vos relations
avec les joueurs, est le respect qu'ils vous portent...
S'ils ne me respectaient pas, je ne serais plus entraîneur,
bien entendu. Mais je crois qu'ils me respectent parce que je m'efforce
d'être honnête avec eux. Je leur dis toujours ce que
j'ai à leur dire. Si je prends une décision qui les
gêne, je l'explique toujours. J'essaie aussi de comprendre
leur comportement quand il me déplait.Et
je ne montre pas de rancœur quand je sais que le joueur peut
s'amender. La saison dernière, Cazes a traversé une
crise morale. Il voulait tout lâcher, jouer au rugby. Cette
saison il est revenu.
Je ne lui ai pas tenu rigueur de
son attitude. Et aujourd'hui je m'en félicite autant que
lui. Il y a quelques années, j'ai eu un différent
grave avec un joueur de grand talent. J'ai demandé aux
dirigeants de s'en séparer, car c'était pour moi
une question d'autorité. Or, malgré les sanctions
que j'avais prises contre lui, il voulait rester. Ce n'était
pourtant plus possible parce que l'autorité de l'entraîneur
est indispensable à l'équipe.
Comment expliquez-vous que dans le moment
même où elle semble "ramer" en championnat,
l'équipe accomplisse ses exploits de la Coupe européenne
?
Il y a d'abord la différence entre le "train-train"
et l'exceptionnel. On ne reconnaissait pas non plus le Saint-Etienne
habituel lors de ses premiers exploits en Coupe des Champions.
L'an dernier, après un excellent début, les garçons
ont décroché une place en Coupe de l'U.E.F.A. C'était
ce que nous voulions tous. Ils ont abordé cette compétition,
cette saison, avec le désir d'aller le plus loin possible.
J'essaye de bien les préparer moralement et pour cela je
ne leur parle des matches européens que deux ou trois jours
avant la rencontre. Les premiers succès les ont encouragés.
La Coupe européenne, c'est une motivation exceptionnelle.
En championnat c'est autre chose. D'abord ils ont mal commencé,
par suite d'une certaine saturation dans la préparation
: trop de rencontres. Deux défaites à domicile pour
débuter un championnat, c'est déroutant. Ensuite
sont venues les blessures et les indisponibilités. J'ai
dû effectuer des remplacements, mais avec des joueurs peu
habitués à la première division. Aujourd'hui,
bien sûr, on dit que les remplaçants valent les titulaires.
Mais ce n'était pas ainsi au début. Aujourd'hui,
même en championnat l'équipe tourne mieux...
Pensez-vous qu'elle puisse
remonter sérieusement au classement ?
J'espère. L'aventure européenne a aguerri les
remplaçants, c’est indiscutable. Quand les titulaires
seront rétablis j'aurai donc un effectif valable de
joueurs de niveau sensiblement égal et je ne serai
peut-être plus à la merci d'une blessure ou d'une
maladie. C’est important de pouvoir modifier l'équipe
sans trop l'affaiblir. Je suis donc confiant...